26/03/2009

Maria Teresa Sá*: Une lecture psychanalytique de "Max et les Maximonstres" de Maurice Sendak



"UN MONDE CANNIBALE

Max et les maximonstres (dont le titre anglais, Where the wild things are, est Là où sont les choses sauvages) est devenu un classique de la littérature moderne pour enfants. Il fut pourtant l’objet d’une polémique enflammée lors de sa publication en 1963. Certains libraires, éducateurs et parents, s’érigeant en défenseurs de l’innocence de l’enfant, exprimèrent leur perplexité et leur hostilité à ce livre. On se posa un certain nombre de questions : Max fera-t-il du mal aux enfants ? Son mauvais comportement encouragera-t-il les jeunes lecteurs à le prendre pour leur idole et à s’opposer à leurs parents ? Les choses sauvages ne favoriseront elles pas des cauchemars ? Un libraire donnait ce conseil : Ne laissez pas ce livre le soir à portée de main d’un enfant sensible.

Les enfants, eux, ont été enthousiastes Parmi l’abondante correspondance reçue par Maurice Sendak, cette demande d’un petit garçon : « Combien ça coûte d’aller là où se trouvent les choses sauvages ? Si ce n’est pas très cher, ma soeur et moi, nous aimerions y passer l’été prochain. » J’ai constaté que cette histoire pouvait avoir un impact thérapeutique surprenant chez certains enfants très renfermés, présentant des traits autistiques. Dans mon travail clinique, j’ai plusieurs fois été témoin de l’intérêt et de la curiosité manifestés par les enfants pour Max, le héros du livre, ainsi que de la richesse des associations libres que suscite cette histoire.
Lorsqu’il a reçu, en 1964 aux Etats-Unis, le prix accordé à l’auteur de la meilleure publication illustrée pour enfant, Maurice Sendak a expliqué : « Max, le héros de mon livre, décharge sa colère contre sa mère et il retourne au monde réel ensommeillé, affamé et en paix avec lui-même. Bien sûr, nous voulons tous protéger les enfants contre des expériences douloureuses qui dépassent leur capacité de compréhension émotionnelle et sont source d’anxiété. Cela paraît évident. Cependant, ce qui est tout aussi évident, mais souvent négligé, c’est que tous les enfants, dès les premières années de leur vie, ont affaire à des émotions qui les perturbent, que la peur et l’anxiété sont une partie intrinsèque de leur vie quotidienne et qu’ils gèrent en permanence leur frustration le mieux qu’ils peuvent. La fantaisie reste la meilleure arme dont l’enfant dispose pour apprivoiser ses parties sauvages. Ce qui confère à mon travail toute la vérité et la toute la passion qu’il peut éventuellement avoir, c’est mon engagement dans ce fait inévitable de l’enfance, la terrible vulnérabilité des enfants et en même temps leur lutte pour devenir les rois de toutes les choses sauvages. »

Dans Max et les maximonstres, le héros conduit le lecteur au pays des choses sauvages, et à travers ce voyage, par un travail intérieur, l’accompagne vers la possibilité de reconstruire le lien libidinal. Parmi toutes les lectures possibles de ce conte, on peut y voir une invitation à considérer l’espace thérapeutique en lui-même comme un lieu contenant des choses sauvages et la psychothérapie comme la découverte du chemin qui mène à la maison, le chemin de l’auto-connaissance.

UN VOYAGE THÉRAPEUTIQUE

Max, le héros de notre histoire, est un petit garçon qui, comme il arrive nécessairement à tous les enfants, ressent parfois un désir insurmontable de faire des bêtises, de détruire, d’alarmer, de se confronter, d’exaspérer, d’agresser, de dévorer et de mettre à l’épreuve ceux qu’il aime.
En d’autres termes, et en images dans le texte, de se revêtir de sa peau de loup. Ces comportements « sauvages » nous renseignent sur le monde intérieur enfantin qui est loin
d’être entièrement rose et qui ressemble davantage, pendant l’enfance tout comme dans la vie
adulte, à la palette d’un peintre : du bleu des émotions tranquilles au rouge de l’excitation, du blanc du vide qui n’a pas encore de nom au noir de l’ombre et de la solitude, en passant par toutes les couleurs dominantes et leurs multiples combinaisons.
Avant que l’enfant n’ait acquis la maturité qui lui permettra de connaître et de distinguer les
couleurs de ses émotions, d’en maîtriser la technique pour les représenter, les transformer et, à partir de là, créer des tableaux dans lesquels il se reconnaîtra en tant qu’auteur. Il connaîtra des périodes d’exaltation où sera pris d’enthousiasme pour un rouge qui le poussera au mouvement et qui lui donnera vitalité et sentiment de puissance ; mais il y aura également des moments où, dans cette exaltation-même, il sera pris d’une terrible volonté de piétiner ce qui lui résiste ou de dévorer l’autre, momentanément anéanti, pour s’en sentir plein. Fâché avec sa mère, car elle lui impose des limites à la satisfaction de ses pulsions instinctuelles, Max veut la manger !

Banni dans sa chambre, il se trouve doublement abandonné : il est seul et sans nourriture. On reconnaît ici deux des angoisses essentielles de l’être humain : la faim physique et son correspondant affectif, la peur de l’abandon. Mais cette fois, Max a une « raison » extérieure qui en quelque sorte justifie sa méchanceté : c’est le monde qui est méchant et la peau de loup apparaît comme une réponse possible, acceptable aux yeux de Max, seul face à sa rage
contre sa mère et face à ce qu’il peut en faire.

Ouvrir la porte ? Faire la paix ? Demander pardon ? Trop pénible, insupportable même. Ce serait reconnaître sa petitesse et, du coup, sa dépendance envers l’objet. Quant à s’approcher pour, qui sait ?, être de nouveau abandonné, donner raison à sa mère et renoncer à son bon droit, en rayant d’un trait son amour propre… Il ne faut pas y compter. Reconnaître une part de bonté dans l’objet reviendrait alors finalement à accepter également une part de méchanceté dans lui-même. Jamais de la vie !

Max aurait pu se mettre à frapper la porte à coups de pieds ; il aurait pu sortir de sa chambre pour faire d’autres bêtises, s’attirant d’autres punitions, ce qui aurait quelque peu soulagé sa culpabilité… Au fur et à mesure qu’il grandit, l’enfant peut recourir à un contrôle extérieur afin
de dominer ses parties sauvages en évitant l’ambivalence affective et les sentiments dépressifs qui l’accompagnent.

Cette nuit-là, Max aurait pu se dépouiller définitivement de sa peau de loup et se transformer en un petit garçon exemplaire, de façon à ne plus jamais manquer de nourriture dans son assiette et qu’à ses côtés sa mère ne lui fasse plus jamais défaut.
Mais, peut-être plus tard, se sentirait-il « dégoûté » avec, qui sait ?, un vide intérieur difficile à expliquer et à supporter. Peut-être se plaindrait-t-il de ne pas être capable de haïr, de désirer ou d’aimer et souffrira-t-il d’une « insoutenable légèreté de l’être » ? Peut-être encore, serait-il un petit garçon peureux, projettant au-dehors de lui ces pulsions destructives qu’il n’aura pas su ni identifier, ni transformer, ni intégrer.

LOUP OEDIPIEN CONTRE MONSTRES ARCHAÏQUES

Toutefois, Max, notre héros, découvre une autre façon efficace de faire quelque chose de sa colère : Abandonné, il va lui-même abandonner. Je n’ai besoin de personne ! Un mensonge qui va le mener loin de chez lui, très loin ! Le Max qui part est un garçon furieux, férocement
fâché. La sortie hors du réel pour rentrer dans la fantaisie est illustrée par un Max qui ferme ses yeux. Dans sa chambre, les frontières entre le réel et l’imaginaire s’estompent. S’installe une atmosphère de rêve. La chambre devient une forêt fantastique où « son bateau » l’attend. Max hisse les voiles et entame un voyage à travers l’océan du fantastique jusqu’au fin fond de l’inconscient, au pays des Maxi-monstres où il se fait couronner roi. C’est aussi le royaume de la toute-puissance magique. L’illustration prend alors d’énormes dimensions et remplit toute la page. Plus besoin de texte. La même lune qui brille dans la chambre et dans le pays des choses sauvages souligne discrètement que, pendant ce temps, l’on n’a pas changé de place ; elle rappelle au lecteur qu’il s’agit d’un simple voyage intérieur. On ne peut pas ne pas penser ici au livre de Xavier de Maître intitulé Voyage autour de ma chambre (1794), grand classique de ce genre, le voyage immobile.

Lorsque la fête bat son plein et que l’on n’en entrevoit pas encore la fin, Max fait retentir cette phrase qu’il connaît bien, dont les effets sont certains : « Ça suffit ! Au lit, tout de suite et sans manger ! » Une fois les choses sauvages apprivoisées, Max reprend contact avec
l’objet intériorisé et renoue son identification avec lui. De loin, de très loin, aux confins du monde, il capte de nouveau l’odeur des bonnes choses à manger dont il se souvient avec nostalgie. Serait-ce un souvenir de ce qui a existé dans le passé et qu’il a détruit ou perdu ? Maintenant Max veut être seul. À la catharsis de l’action succède l’avènement de la pensée et, de pair avec la tristesse, survient le désir de réparation du lien et du bien absolu pour l’objet et pour soi-même. Max échange alors son trône et la couronne de la toutepuissance narcissique contre le voyage de retour à la réalité, à la relation d’objet, mû par le désir « d’être aimé par dessus tout », qui comporte peut-être aussi l’espoir d’être aimé comme il est, par quelqu’un capable de l’accepter entièrement, avec ses parties sauvages.
Le voyage de retour est long. Là aussi, le temps - manifeste pour le lecteur dans l’action de tourner les pages – a la durée d’un parcours intérieur de croissance que Max poursuit avec courage et persévérance. Cependant, cet effort lui permet de savourer son retour comme le fruit de son initiative et d’arriver à bon port. Fatigué, mais réconcilié, Max pourra abandonner son masque de loup lorsqu’il pourra admettre qu’existait déjà, dans son for intérieur, son attente de la présence de son objet d’amour. Et, en vérité, le dîner, encore « tout chaud » qui l’attend symbolise l’aliment intérieur assuré par le bon objet et la chaleur de la relation renouée. Sa mère ne l’a pas oublié. La preuve c’est, qu’en plus de la soupe, elle lui a aussi mis de côté une énorme tranche de gâteau et le verre de lait -le pardon absolu. Finalement, une récompense parfaite pour un petit garçon qui a su apprivoiser sa colère, y réfléchir et la transformer.
À présent, Max peut se dépouiller de la peau du loup. Très subtilement, l’image nous montre qu’il a été purgé de sa méchanceté. Maintenant il peut savourer le retour chez lui et, dans sa chambre, encore seul, il ne se sent plus seul.
Winnicott disait à ce sujet : « Lorsqu’il y a de l’espoir en ce qui concerne les objets intérieurs, la vie instinctive est active et l’individu peut jouir de ses pulsions agressives, en transformant en bien, dans la vie réelle, ce qui était mal dans son fantasme. Voilà ce qui est la base du jeu et du travail. (...) Notre capacité à aider un enfant, un adolescent ou un adulte est définie par l’état de son monde intérieur. Si celui-ci est détruit de façon excessive et incontrôlable, alors bien peu de choses pourront y être réparées. Tout ce que l’enfant pourra alors faire c’est de nier ses mauvais fantasmes ainsi que la liberté instinctuelle elle-même (…). »

*Psychologue clinicienne

3 commentaires:

Marraine a dit…

Je ne l'ai jamais lu, il faudra que je me le trouve un de ces jours!

Anonyme a dit…

Excellent...
Ce livre m'a beaucoup marqué en effet.

Anonyme a dit…

Merci pour cet intermède instructif ! Je me souviens de mon côté avoir été beaucoup marquée par "les contes de la Rue de Broca" et plus particulièrement "La sorcière du placard au balai" de Pierre Gripari ou encore "Kitou Scrogneugneu".
Il faudrait que je le retrouve pour les mettre de côté pour the next generation je pense ... :)

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