25/10/2005
21/10/2005
Andreas Gursky
Photographe né en 1955 à Leipzig, formé dans des écoles prestigieuses à une créativité dans la lignée de celle du Bauhaus. Son travail sur de très grands formats s'attache à dépeindre une certaine dialectique, la dualité entre le gigantesque et le minuscule, l'impersonnel et le personnel, le lointain et le proche...Dans des compositions rigoureusement simplifiées, les lignes pures des constructions se trouvent en contraste violent avec le grouillement, la masse compacte des hommes rendus anonymes, déshumanisés par le cadrage.
20/10/2005
Mon chien Stupide
Un roman de John Fante (1909/1983)Fils d’immigrant italien né en 1909 il commence très jeune à écrire notamment pour le magazine « American Mercury » dirigé par H.L.Mencken avec qui il se liera vite d’amitié. En 1933 son premier roman « La route de Los Angeles » a du mal à se faire éditer, et ce n’est que 5 ans plus tard que sortira « Bandini ». De 35 à 66 il travaille à l’écriture de scénarii à Hollywood. Dans ses romans on retrouve souvent sa propre histoire d’immigré italien, ses vagabondages à Hollywood , sa famille…la difficulté de l’écriture.
Mon chien stupide raconte l’histoire d’un scénariste qui découvre un soir d’orage un chien énorme couché sur sa pelouse. La famille horrifiée par ce chien dégoûtant presse le narrateur de s’en débarrasser le plus tôt possible. Mais l’homme va se découvrir une passion soudaine pour le chien.Un livre cynique, drôle et ironique.
Extrait :« Aussitôt mon cœur s’est emballé, et j’ai compris que cet affrontement était ma seule raison d’amener Stupide à la plage. J’ai regardé Jamie. Son visage était congestionné, ses yeux scintillaient. Le seul de nous trois qui n’était pas conscient de la menace imminente était Stupide. Apparemment, son odorat était aussi médiocre que sa vue, car il plastronnait sans voir Rommel, sa grande langue battant ses babines, un sourire béat sur son visage d’ours.Rommel avançait d’un pas furtif et menaçant, la queue tendue à l’horizontale, le poil légèrement hérissé. Brusquement, il a lâché un grognement terrifiant qui a mis fin aux jappements et autres aboiements le long de la rue. Le roi avait parlé, un silence angoissé régnait. Stupide a dressé les oreilles quand ses yeux ont découvert Rommel à trente mètres devant lui. Il a bondi en avant pour nous faire lâcher son collier, et nous l’avons retenu quelques secondes avant de le libérer. Il ne s’est pas accroupi comme son rival teuton. Non, il a marché vers la bataille la tête haute, le panache de sa queue fournie oscillant comme un drapeau au-dessus de son arrière train.J’ai eu l’impression d’assister à un duel dans l’Ouest sauvage. Jamie léchait ses lèvres. Mon cœur battait la chamade. Nous nous sommes arrêtés pour regarder.Rommel a frappé le premier, enfonçant profondément ses crocs dans la fourrure de la gorge de Stupide. Autant mordre un matelas. Stupide s’est libéré, dressé sur ses pattes arrière, tel un ours, utilisant ses pattes avant pour tenir le Teuton à distance. Rommel aussi s’est dressé sur ses pattes arrières ; gueule contre gueule, ils ont essayé de se mordre[…]Il a frappé plusieurs fois , mais sans pouvoir s’accrocher. A ma grande surprise, Stupide ne mordait pas. Il grondait, ses mâchoires claquaient, il rugissait pour égaler les rugissements de Rommel, mais de toute évidence il voulait seulement se battre, et pas tuer. Il était de la même taille que Rommel, mais son poitrail était plus puissant et ses pattes frappaient comme des massues.Après une demi-douzaine de charges, le match nul semblait inévitable, et il y eu une pause momentanée dont les chiens ont profité pour se jauger. L’alerte Rommel était immobile comme une statue tandis que Stupide s’approchait de lui et commençait à décrire des cercles autour du berger allemand. Rommel observait cette manœuvre d’un air soupçonneux, les oreilles dressées. Selon toutes les règles du combat de chiens classique, on aurait dû s’en tenir à un match nul, les deux animaux regagnant leurs pénates respectifs avec leur honneur intact.Mais pas Stupide. Vers la fin du deuxième cercle, il a soudain levé ses pattes vers le dos de Rommel. Touché ! C’était un coup fantastique, sans précédent, osé, humiliant et si peu orthodoxe que Rommel s’est figé sur place, incrédule. On eût dit que Stupide préférait batifoler plutôt que lutter ; ça a jeté Rommel, ce noble chien qui croyait au fair-play, dans une confusion terrible.Alors Stupide a révélé son but incroyable : il a dégainé son glaive orange en bondissant sur le dos de Rommel ; tel un ours, il a immobilisé Rommel de ses quatre pattes puissantes, puis entrepris de mettre son glaive au chaud. Quelle finesse ! Quelle astuce ! J’étais enchanté. Dieu quel chien !Grondant de dégoût, Rommel se débattait pour échapper à cet assaut obscène, son cou se tordait pour atteindre la gorge de Stupide, son arrière train se plaquait au sol pour échapper aux coups de glaive. Il savait maintenant que son adversaire était un monstre pervers à l’esprit dépravé, et il se tordait en tous sens avec l’énergie du désespoir. Enfin libre, il s’est éloigné furtivement, la queue basse pour protéger ses parties. Stupide gambadait autour de lui pendant que Rommel battait en retraite vers sa pelouse où il s’est couché en montrant les crocs. Il y avait de l’écœurement et du dégoût dans le gémissement qui est monté de sa gorge : il ne voulait plus entendre parler de cet adversaire révoltant, trop répugnant pour qu’on l’attaque.Il était battu, écrasé. Il avait jeté l’éponge.« Bon dieu ! » j’ai fait en m’agenouillant pour serrer le cou de Stupide entre mes bras.« Oh Jamie ! Tu as vu un peu notre Stupide ! »Jamie avait saisi son collier.« Eloignons le avant que ça ne recommence. »« ca ne recommencera jamais. Rommel est fini, ratiboisé. Regarde-le ! »Rommel remontait l’allée de Kunz vers le garage, la queue entre les jambes.« Partons », a dit Jamie.« On le garde. »« Impossible. Tu as promis à maman. »« C’est mon chien, ma maison, ma décision. »« Mais il n’est pas à toi »« Il le sera. »« C’est une source d’ennuis. Il est cinglé. »« C’est un grand lutteur. Il gagne sans donner le moindre coup à son adversaire. »« C’est pas un lutteur, Papa. C’est un violeur. »« On le garde »« Dis moi pourquoi. »« Je ne suis pas obligé de tout te dire ». »
14/10/2005
Récit d’un branleur
Un roman de Samuel Benchetrit.
Roman Stern aime trois choses dans la vie : glander, manger de l’onglet à l’échalote, et bien entendu la masturbation qui l’occupa durant toute son adolescence, et dix minutes par jour ensuite. Du travail il n’en cherche pas « on m’avait dit qu’il était impossible d’en trouver, alors je n’avais pas insisté ». Tout pourrait être parfait pour Roman, mais une chose cloche avec lui : « les dingues et les dépressifs du globe semblent l’avoir choisi comme confident exclusif. Au comptoir d’un café, dans la rue ou sous un Abribus…A chaque fois, le jeune homme devient la cible privilégiée de tous ceux qui ont besoin de se plaindre. Et roman ne s’emporte jamais. Il a toujours été comme ça. Plutôt spectateur qu’acteur, docile, adepte des salles obscures et du repli sur soi. Jusqu’au jour où son alcoolique de tante lui lègue un caniche blanc accompagné d’un joli pactole ! Un coup du sort vite transformé en coup fumant : en créant « la société des plaintes », Roman devient écouteur professionnel sans perdre de vue l’essentiel : dans la vie, on ne fait que passer et l’onglet à l’échalote se déguste bien chaud… ». Un livre drôle et cynique que je conseille à tous les glandeurs, à tous les « écouteurs ».
Extrait :« J’ aurais jamais dû prendre un café après mon onglet froid. J’étais assis dans un wagon du métro et mon ventre était assis sur la banquette d’à côté.En général j’étais assez triste quand je rentrais chez moi. Comme quelqu’un qui retourne à l’hôpital. Mon appartement me faisait penser à un hospice tant il n’inspirait que le passage. Dès qu’on franchissait la porte, on était pris d’une bouffée d’amertume. On se demandait combien de vieux y étaient mort. Dans la salle d’eau on prenait des douches de mélancolie. Dans la cuisine on grignotait de la nostalgie. Et même dans le noir, il restait toujours cette odeur pour me rappeler comme j’étais pauvre, feignant et sale.J’avais été une fois à une réunion de locataires dans la cave de l’immeuble. Même les cafards étaient venus se plaindre. Et une fois de plus ça n’avait pas raté. C’est à moi que chacun des habitants avait raconté ses misères quotidiennes. Le manque de sécurité. La saleté. Le chauffage pas assez chaud. Le bruit de la rue. Le bruit des gens. La porte d’entrée qui claque trop fort. Le digicode aux chiffres trop compliqués.Moi je savais ce qui les dérangeait surtout. C’était le bruit de leurs entrailles. Le bruit du pet de leurs femmes qu’ils ne supportaient plus d’entendre au beau milieu de la nuit. Le bruit de leurs cheveux se cassant de vieillesse et de ne plus en pouvoir de pousser toujours. Et le voisin de dessous ne supportait plus d’entendre gratter le chien du dessus, alors il a dit qu’une de ces nuits il monterait pour tuer le chien d’un coup de douze. Et le propriétaire du chien a répondu qu’il descendrait lui égorger toute sa famille après leur avoir fait manger le clébard tout entier.La vieille peau du premier en avait marre de confisquer les ballons des gosses qui jouaient dans la cour. Elle disait qu’on pouvait casser des vitres, la dame qui a pas hésité à balancer tout ce qu’il y avait de juif dans l’immeuble voilà quelques années. Et de casser des vitres, c’était plus grave que d’envoyer au feu une race se faire exterminer.Seul mon voisin de palier était absent le jour de la réunion. Il s’appelait M. Pigeon. Son nom il l’avait gravé au couteau sur sa porte. Il avait pas mis Monsieur. Juste PIGEON. Comme ça, sans autres indications.Au début je croyais qu’il vivait avec Mme Pigeon parce que je l’entendais parler toute la journée. Mais plus tard la collabo du premier m’a raconté que c’était avec ses cafards qu’il s’entretenait, et que Mme Pigeon elle s’était tirée une nuit.M. Pigeon disait que les cafards n’étaient pas difficiles vu qu’ils n’hésitaient pas à habiter dans des endroits très sales. Et que si un jour ils devenaient un peuple cultivé et capable de dépenser de l’argent, tous ces enculés de propriétaires n’auraient plus de problème pour louer leurs apparts minables.M. Pigeon aimait bien les cafards et haïssait les hommes. Il ne sortait jamais de chez lui. Juste de temps en temps, je le retrouvais sur le palier, accoudé à la rampe d’escalier, torse nu et le cul enveloppé d’une serpillière.Il m’avait demandé de lui faire deux trois courses et puis c’était vite devenu une habitude.Tous les deux jours, j’allais lui acheter quatre paquets de cigarettes brunes, un sac de frites surgelées, une boîte de bâtonnets Colin Igloo, deux litres de vin rouge et une revue porno. Et qu’un jour il y verrait Mme Pigeon en train de tailler une pipe ou de se faire prendre à quatre pattes. Et que ça serait sa revanche. Qu’il en finirait pas de se branler dessus. Que, de foutre, il en recouvrirait toute sa femme entière.Il récupérait ses courses, envoyait une ou deux saloperies sur Mme Pigeon et puis fermait sa porte. Il ne me payait jamais. Et comme je ne lui demandais rien, il avait décidait que ses cafards et lui étaient mes invités.Ermite ou pas, M. Pigeon avait vite fait savoir aux autres locataires qu’il tenait un gentil petit gars serviable comme voisin de palier. Et rapidement je me suis tapé toutes les commissions de l’immeuble. Le pain de la collabo. Le journal du propriétaire du chien. Et même les tampons de la femme qui pétait. A chaque fois que je venais leur apporter leurs courses, ils m’invitaient une bonne heure chez eux pour me donner des nouvelles de leur vie de merde.
Pendant que je les entendais déblatérer, je m’inventais des poésies dans ma tête. Courtes ou longues suivant la durée des lamentations. Et quand c’était vraiment à mourir, je faisais tout en alexandrins. Ensuite je me récitais mes vers dans les escaliers pour ne pas les oublier le temps que j’arrive chez moi . Et toute la nuit je les recopiais sur un grand cahier que j’avais titré : « L’ESPRIT DE L’ENNUI ».
Peut-être qu’un jour mes poésies seraient publiées. Certainement pas de mon vivant car j’étais bien trop feignant pour aller démarcher qui que ce soit. Non, un type aurait découvert mon cahier dans les décombres de l’immeuble qui se serait écroulé sous le poids de la saleté. Et ce type se serait cassé le cul pour qu’on honore enfin mon génie inconnu. »
Roman Stern aime trois choses dans la vie : glander, manger de l’onglet à l’échalote, et bien entendu la masturbation qui l’occupa durant toute son adolescence, et dix minutes par jour ensuite. Du travail il n’en cherche pas « on m’avait dit qu’il était impossible d’en trouver, alors je n’avais pas insisté ». Tout pourrait être parfait pour Roman, mais une chose cloche avec lui : « les dingues et les dépressifs du globe semblent l’avoir choisi comme confident exclusif. Au comptoir d’un café, dans la rue ou sous un Abribus…A chaque fois, le jeune homme devient la cible privilégiée de tous ceux qui ont besoin de se plaindre. Et roman ne s’emporte jamais. Il a toujours été comme ça. Plutôt spectateur qu’acteur, docile, adepte des salles obscures et du repli sur soi. Jusqu’au jour où son alcoolique de tante lui lègue un caniche blanc accompagné d’un joli pactole ! Un coup du sort vite transformé en coup fumant : en créant « la société des plaintes », Roman devient écouteur professionnel sans perdre de vue l’essentiel : dans la vie, on ne fait que passer et l’onglet à l’échalote se déguste bien chaud… ». Un livre drôle et cynique que je conseille à tous les glandeurs, à tous les « écouteurs ».
Extrait :« J’ aurais jamais dû prendre un café après mon onglet froid. J’étais assis dans un wagon du métro et mon ventre était assis sur la banquette d’à côté.En général j’étais assez triste quand je rentrais chez moi. Comme quelqu’un qui retourne à l’hôpital. Mon appartement me faisait penser à un hospice tant il n’inspirait que le passage. Dès qu’on franchissait la porte, on était pris d’une bouffée d’amertume. On se demandait combien de vieux y étaient mort. Dans la salle d’eau on prenait des douches de mélancolie. Dans la cuisine on grignotait de la nostalgie. Et même dans le noir, il restait toujours cette odeur pour me rappeler comme j’étais pauvre, feignant et sale.J’avais été une fois à une réunion de locataires dans la cave de l’immeuble. Même les cafards étaient venus se plaindre. Et une fois de plus ça n’avait pas raté. C’est à moi que chacun des habitants avait raconté ses misères quotidiennes. Le manque de sécurité. La saleté. Le chauffage pas assez chaud. Le bruit de la rue. Le bruit des gens. La porte d’entrée qui claque trop fort. Le digicode aux chiffres trop compliqués.Moi je savais ce qui les dérangeait surtout. C’était le bruit de leurs entrailles. Le bruit du pet de leurs femmes qu’ils ne supportaient plus d’entendre au beau milieu de la nuit. Le bruit de leurs cheveux se cassant de vieillesse et de ne plus en pouvoir de pousser toujours. Et le voisin de dessous ne supportait plus d’entendre gratter le chien du dessus, alors il a dit qu’une de ces nuits il monterait pour tuer le chien d’un coup de douze. Et le propriétaire du chien a répondu qu’il descendrait lui égorger toute sa famille après leur avoir fait manger le clébard tout entier.La vieille peau du premier en avait marre de confisquer les ballons des gosses qui jouaient dans la cour. Elle disait qu’on pouvait casser des vitres, la dame qui a pas hésité à balancer tout ce qu’il y avait de juif dans l’immeuble voilà quelques années. Et de casser des vitres, c’était plus grave que d’envoyer au feu une race se faire exterminer.Seul mon voisin de palier était absent le jour de la réunion. Il s’appelait M. Pigeon. Son nom il l’avait gravé au couteau sur sa porte. Il avait pas mis Monsieur. Juste PIGEON. Comme ça, sans autres indications.Au début je croyais qu’il vivait avec Mme Pigeon parce que je l’entendais parler toute la journée. Mais plus tard la collabo du premier m’a raconté que c’était avec ses cafards qu’il s’entretenait, et que Mme Pigeon elle s’était tirée une nuit.M. Pigeon disait que les cafards n’étaient pas difficiles vu qu’ils n’hésitaient pas à habiter dans des endroits très sales. Et que si un jour ils devenaient un peuple cultivé et capable de dépenser de l’argent, tous ces enculés de propriétaires n’auraient plus de problème pour louer leurs apparts minables.M. Pigeon aimait bien les cafards et haïssait les hommes. Il ne sortait jamais de chez lui. Juste de temps en temps, je le retrouvais sur le palier, accoudé à la rampe d’escalier, torse nu et le cul enveloppé d’une serpillière.Il m’avait demandé de lui faire deux trois courses et puis c’était vite devenu une habitude.Tous les deux jours, j’allais lui acheter quatre paquets de cigarettes brunes, un sac de frites surgelées, une boîte de bâtonnets Colin Igloo, deux litres de vin rouge et une revue porno. Et qu’un jour il y verrait Mme Pigeon en train de tailler une pipe ou de se faire prendre à quatre pattes. Et que ça serait sa revanche. Qu’il en finirait pas de se branler dessus. Que, de foutre, il en recouvrirait toute sa femme entière.Il récupérait ses courses, envoyait une ou deux saloperies sur Mme Pigeon et puis fermait sa porte. Il ne me payait jamais. Et comme je ne lui demandais rien, il avait décidait que ses cafards et lui étaient mes invités.Ermite ou pas, M. Pigeon avait vite fait savoir aux autres locataires qu’il tenait un gentil petit gars serviable comme voisin de palier. Et rapidement je me suis tapé toutes les commissions de l’immeuble. Le pain de la collabo. Le journal du propriétaire du chien. Et même les tampons de la femme qui pétait. A chaque fois que je venais leur apporter leurs courses, ils m’invitaient une bonne heure chez eux pour me donner des nouvelles de leur vie de merde.
Pendant que je les entendais déblatérer, je m’inventais des poésies dans ma tête. Courtes ou longues suivant la durée des lamentations. Et quand c’était vraiment à mourir, je faisais tout en alexandrins. Ensuite je me récitais mes vers dans les escaliers pour ne pas les oublier le temps que j’arrive chez moi . Et toute la nuit je les recopiais sur un grand cahier que j’avais titré : « L’ESPRIT DE L’ENNUI ».
Peut-être qu’un jour mes poésies seraient publiées. Certainement pas de mon vivant car j’étais bien trop feignant pour aller démarcher qui que ce soit. Non, un type aurait découvert mon cahier dans les décombres de l’immeuble qui se serait écroulé sous le poids de la saleté. Et ce type se serait cassé le cul pour qu’on honore enfin mon génie inconnu. »
04/10/2005
Traité d’injurologie de Robert Edouard
Un petit livre qui s’intéresse à l’injure, et à l’art de bien injurier son prochain. En voici donc un petit extrait, où l’auteur nous propose de décortiquer les mécanismes de ce qu’il appelle le chapelet d’injure, tradition qui selon lui a tendance à se perdre au profit d’injures brèves composées de trois à cinq lettres.
Petit cours donc :
« Le chapelet d’injures de forme classique se décompose comme suit :
1. Interpellation, se subdivisant parfois elle-même en :
a) Introduction : Non mais dis donc...
b) Désignation de l’intéressé : …espèce de gueule de raie…
c) Localisation de celui-ci ou précision pour lui permettre de se reconnaître : …Oui, toi, la grande andouille qui n’a pas une tête à avoir inventé le tiercé…
2. Exposé des motifs
…Ca bouscule le pauvre monde et ça ne s’excuse même pas
…Où est-ce que tu as été élevé ? Chez les cochons ou chez les oies ?
…Où est-ce que tu te crois,eh, patate…
3. Ce qu’il est
…Saleté de fumier de chien galeux
…Vomissure, raclure, pourriture…
4. la question qu’on se pose à son sujet
…Qu’est ce qui m’a foutu une pareille tête de lard ?…
5. Le conseil qu’on lui donne.
…Cache-toi, eh pas beau, face moche, trouduc…
6. Refus de mêler la famille à une affaire strictement personnelle. (N.B. L’usage veut que l’on fasse successivement allusion à la mère, au père, à la sœur, à l’épouse ; aux grand-parents ou aux enfants selon l’âge du destinataire)
…Fils de pute, enfant de salaud
…Est-ce que je te demande combien ta frangine a fait de clients hier à la Madeleine et si ta femme a le cul folâtre ?
…Moi je m’en tamponne, pauvre con, de tes histoires de famille
…Ton grand-père peut se coincer les prunes dans les ressorts du sommier
…Et ta grand-mère pleurnicher qu’elle n’a plus rien à se mettre dans la tabatière
…Ce n’est pas ça qui m’empêchera e dormir…
7. L’espoir qu’il tiendra compte de notre discrétion.
…Alors viens pas me casser les roubignolles…
8. Ce qu’on devrait lui faire.
…Tu mériterais que je te colle mon pied dans les fesses…
9. Mais considérant que
…des enfoirés de ton espèce, ça ne vaut même pas qu’on se salisse les mains…
10. Ce que nous allons faire
…Tiens je préfère encore passer en me bouchant le nez…
11. Invitation à s’éloigner
…Allez, du vent, eh, limace ! loquedu ! mal torché !…
12. Suggestion finale
…Va te faire foutre si tu trouves un amateur qui n’est pas trop dégoûté !
c’est à dessein que nous avons choisi un exemple ne comportant qu’une succession d’expressions banales et dépourvues de toute envolée lyrique. On pourra mieux percevoir ainsi le mécanisme de cette technique particulière.Les divers éléments de ce chapelet sont composés de courtes phrases qu’on s’entend lancer et qu’on lance soi-même quotidiennement. Mais on ne saurait contester que leur enchaînement confère à l’ensemble une originalité et des résonances nouvelles. Nous n’ignorons pas le rythme accéléré de la vie démente que nous menons nous ne laisse guère le temps d’échanger, au hasard des rencontres, des discours de cette importance. N’oublions pas , en effet, que la courtoisie la plus élémentaire exige que l’on écoute la réponse de l’interlocuteur sans manifester une trop visible impatience de prendre congé.Aussi conseillons nous de ne réciter ce grand chapelet qu’en certaines périodes de l’année où l’on dispose de quelques loisirs (week-end de Noël, de Pâques, de Pentecôte ; congés payés, etc.).
En temps normal, on se contentera du petit chapelet, formule moins complète, certes, mais qui (de conception moins rigide) permet aussi de belles réussites et cnvient mieux sans doute aux gens pressés que nous sommes.
Autre extrait.
« L’indice de virulence. Esquisse d’un barème à l’intention de MM. Les magistrats. Nous sommes en mesure de donner ici quelques exemples fondés sur les réactions que nous avons observées (ou sur les impressions que nous avons personnellement ressenties) au cours des expériences méthodiques que nous poursuivons depuis plusieurs années sur le degrés de nuisance des injures les plus usuelles.
Fripouille : 2
Petite fripouille : 4
Con : 3
Pauvre con : 7
Vaurien : 2
Moins que rien : 1
Zéro : 3
Va te faire voir : 2
Vieux salaud : 5
Vieille salope (à une femme) : 6
(à un homme) : 10
Merdeux : 3
Paquet de merde : 8
Pourriture : 6
Vieux pourri : 8
Tête de lard : 3
Tête de nœud : 5
Salopard : 2
Grand malpropre : 4
Balayette : 3
Serpillière : 10
Vieux sagouin : 2
Vieux macaque : 5
Lèche-cul : 4
Lèche-bottes : 6
Sans-couilles : 7
Eburné : 1
Enculé : 15
Idiot : 2
Abruti : 4
Le coefficient indiqué est surtout valable pour une injure isolée, lancée sous forme d’apostrophe spontanée.Quand elle est intégrée dans une phrase, cet indice peut se trouver sensiblement modifié, notamment si la phrase en question comporte plusieurs injures (par exemple dans un chapelet). Le cas n’est pas rare où le coefficient de chaque injure doive alors être non pas additionné mais multiplié.Mais il peut aussi arriver que, par suite d’une technique défectueuse, l’accumulation atténue au contraire la virulence de chacune des injures employées et qu’elle amortisse la puissance globale en éparpillant les points d’impact. Les débutants devront songer à cet écueil, eux qui (avec l’ardeur désordonnée des néophytes) engagent souvent le combat armés de vocatifs d’un indice trop élevé pour n’être pas dans la pénible obligation de régresser si la rencontre se prolonge.
A titre indicatif, signalons que :AU DESSOUS DE L’INDICE 5 Il est incorrect de riposter par une paire de claques. Et déconseillé de répliquer par une injure d’un I.V (indice de virulence) supérieur à 7. DE 5 A 8 A manier avec prudence, surtout quand (faute d’expérience) on ne sait pas encore très bien choisir ses adversaires. Le simple haussement d’épaule ou : « Vous en êtes un autre » ne sauraient être tenus pour des ripostes suffisantes. Une ou plusieurs injures d’un I.V. voisin de 10 constitue le minimum généralement admis. 9 ET AU-DESSUS A n’employer que si l’on a la certitude de posséder un avantage physique indiscutable. Si ce n’est pas le cas, s’assurer l’assistance d’un complice solidement charpenté. Peut toutefois (jusqu’à 10+5 inclus) être utilisé au téléphone ou derrière une cloison solide.
10²…
En voiture :
Ne formuler qu’après avoir fait chauffer le moteur.En bateau : Emploi strictement limité au moment précis où la personne visée ayant quitté le bord, l’officier de pont donne l’ordre d’amener la passerelle…En chemin de fer : Exclusivement entre le coup de sifflet du chef de gare et le démarrage du train (plus tôt, serait téméraire ; plus tardivement, manquerait d ‘élégance et d’efficacité)Règle générale : Injures réservées à des gens à qui on désire laisser un souvenir durable, et qu’on ne risque pas de rencontrer au coin d’une rue avant cinq ou six ans.Peuvent fournir un moyen radical de s’offrir quelques semaines dans une maison de repos ou, en choisissant bien le destinataire, une façon économique mais douloureuse, d’en finir avec la vie. »
Petit cours donc :
« Le chapelet d’injures de forme classique se décompose comme suit :
1. Interpellation, se subdivisant parfois elle-même en :
a) Introduction : Non mais dis donc...
b) Désignation de l’intéressé : …espèce de gueule de raie…
c) Localisation de celui-ci ou précision pour lui permettre de se reconnaître : …Oui, toi, la grande andouille qui n’a pas une tête à avoir inventé le tiercé…
2. Exposé des motifs
…Ca bouscule le pauvre monde et ça ne s’excuse même pas
…Où est-ce que tu as été élevé ? Chez les cochons ou chez les oies ?
…Où est-ce que tu te crois,eh, patate…
3. Ce qu’il est
…Saleté de fumier de chien galeux
…Vomissure, raclure, pourriture…
4. la question qu’on se pose à son sujet
…Qu’est ce qui m’a foutu une pareille tête de lard ?…
5. Le conseil qu’on lui donne.
…Cache-toi, eh pas beau, face moche, trouduc…
6. Refus de mêler la famille à une affaire strictement personnelle. (N.B. L’usage veut que l’on fasse successivement allusion à la mère, au père, à la sœur, à l’épouse ; aux grand-parents ou aux enfants selon l’âge du destinataire)
…Fils de pute, enfant de salaud
…Est-ce que je te demande combien ta frangine a fait de clients hier à la Madeleine et si ta femme a le cul folâtre ?
…Moi je m’en tamponne, pauvre con, de tes histoires de famille
…Ton grand-père peut se coincer les prunes dans les ressorts du sommier
…Et ta grand-mère pleurnicher qu’elle n’a plus rien à se mettre dans la tabatière
…Ce n’est pas ça qui m’empêchera e dormir…
7. L’espoir qu’il tiendra compte de notre discrétion.
…Alors viens pas me casser les roubignolles…
8. Ce qu’on devrait lui faire.
…Tu mériterais que je te colle mon pied dans les fesses…
9. Mais considérant que
…des enfoirés de ton espèce, ça ne vaut même pas qu’on se salisse les mains…
10. Ce que nous allons faire
…Tiens je préfère encore passer en me bouchant le nez…
11. Invitation à s’éloigner
…Allez, du vent, eh, limace ! loquedu ! mal torché !…
12. Suggestion finale
…Va te faire foutre si tu trouves un amateur qui n’est pas trop dégoûté !
c’est à dessein que nous avons choisi un exemple ne comportant qu’une succession d’expressions banales et dépourvues de toute envolée lyrique. On pourra mieux percevoir ainsi le mécanisme de cette technique particulière.Les divers éléments de ce chapelet sont composés de courtes phrases qu’on s’entend lancer et qu’on lance soi-même quotidiennement. Mais on ne saurait contester que leur enchaînement confère à l’ensemble une originalité et des résonances nouvelles. Nous n’ignorons pas le rythme accéléré de la vie démente que nous menons nous ne laisse guère le temps d’échanger, au hasard des rencontres, des discours de cette importance. N’oublions pas , en effet, que la courtoisie la plus élémentaire exige que l’on écoute la réponse de l’interlocuteur sans manifester une trop visible impatience de prendre congé.Aussi conseillons nous de ne réciter ce grand chapelet qu’en certaines périodes de l’année où l’on dispose de quelques loisirs (week-end de Noël, de Pâques, de Pentecôte ; congés payés, etc.).
En temps normal, on se contentera du petit chapelet, formule moins complète, certes, mais qui (de conception moins rigide) permet aussi de belles réussites et cnvient mieux sans doute aux gens pressés que nous sommes.
Autre extrait.
« L’indice de virulence. Esquisse d’un barème à l’intention de MM. Les magistrats. Nous sommes en mesure de donner ici quelques exemples fondés sur les réactions que nous avons observées (ou sur les impressions que nous avons personnellement ressenties) au cours des expériences méthodiques que nous poursuivons depuis plusieurs années sur le degrés de nuisance des injures les plus usuelles.
Fripouille : 2
Petite fripouille : 4
Con : 3
Pauvre con : 7
Vaurien : 2
Moins que rien : 1
Zéro : 3
Va te faire voir : 2
Vieux salaud : 5
Vieille salope (à une femme) : 6
(à un homme) : 10
Merdeux : 3
Paquet de merde : 8
Pourriture : 6
Vieux pourri : 8
Tête de lard : 3
Tête de nœud : 5
Salopard : 2
Grand malpropre : 4
Balayette : 3
Serpillière : 10
Vieux sagouin : 2
Vieux macaque : 5
Lèche-cul : 4
Lèche-bottes : 6
Sans-couilles : 7
Eburné : 1
Enculé : 15
Idiot : 2
Abruti : 4
Le coefficient indiqué est surtout valable pour une injure isolée, lancée sous forme d’apostrophe spontanée.Quand elle est intégrée dans une phrase, cet indice peut se trouver sensiblement modifié, notamment si la phrase en question comporte plusieurs injures (par exemple dans un chapelet). Le cas n’est pas rare où le coefficient de chaque injure doive alors être non pas additionné mais multiplié.Mais il peut aussi arriver que, par suite d’une technique défectueuse, l’accumulation atténue au contraire la virulence de chacune des injures employées et qu’elle amortisse la puissance globale en éparpillant les points d’impact. Les débutants devront songer à cet écueil, eux qui (avec l’ardeur désordonnée des néophytes) engagent souvent le combat armés de vocatifs d’un indice trop élevé pour n’être pas dans la pénible obligation de régresser si la rencontre se prolonge.
A titre indicatif, signalons que :AU DESSOUS DE L’INDICE 5 Il est incorrect de riposter par une paire de claques. Et déconseillé de répliquer par une injure d’un I.V (indice de virulence) supérieur à 7. DE 5 A 8 A manier avec prudence, surtout quand (faute d’expérience) on ne sait pas encore très bien choisir ses adversaires. Le simple haussement d’épaule ou : « Vous en êtes un autre » ne sauraient être tenus pour des ripostes suffisantes. Une ou plusieurs injures d’un I.V. voisin de 10 constitue le minimum généralement admis. 9 ET AU-DESSUS A n’employer que si l’on a la certitude de posséder un avantage physique indiscutable. Si ce n’est pas le cas, s’assurer l’assistance d’un complice solidement charpenté. Peut toutefois (jusqu’à 10+5 inclus) être utilisé au téléphone ou derrière une cloison solide.
10²…
En voiture :
Ne formuler qu’après avoir fait chauffer le moteur.En bateau : Emploi strictement limité au moment précis où la personne visée ayant quitté le bord, l’officier de pont donne l’ordre d’amener la passerelle…En chemin de fer : Exclusivement entre le coup de sifflet du chef de gare et le démarrage du train (plus tôt, serait téméraire ; plus tardivement, manquerait d ‘élégance et d’efficacité)Règle générale : Injures réservées à des gens à qui on désire laisser un souvenir durable, et qu’on ne risque pas de rencontrer au coin d’une rue avant cinq ou six ans.Peuvent fournir un moyen radical de s’offrir quelques semaines dans une maison de repos ou, en choisissant bien le destinataire, une façon économique mais douloureuse, d’en finir avec la vie. »
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